Dernières lignes de l’ouvrage d’Isabelle Stengers, « Au temps des catastrophes » (éd. de La Découverte, 2008).
« La joie, a écrit Spinoza, est ce qui traduit une augmentation de la puissance d’agir, c’est à dire de penser et d’imaginer, et elle a quelque chose à voir avec un savoir, mais un savoir qui n’est pas d’ordre théorique, parce qu’il ne désigne pas d’abord un objet, mais le mode d’existence de celui qui en devient capable. La joie, pourrait-on dire, est la signature de l’événement par excellence, la production-découverte d’un nouveau degré de liberté, conférant à la vie une dimension supplémentaire, modifiant par là-même les rapports entre les dimensions déjà habitées. Joie du premier pas, même inquiet. Et la joie d’autre part a une puissance épidémique. C’est ce dont témoignent tant d’anonymes qui comme moi, ont goûté cette joie en mai 1968, avant que les responsables, porte-parole d’impératifs abstraits, ne s’emparent de l’événement. La joie se transmet non de sachant à ignorant, mai sur un mode lui-même producteur d’égalité, joie de penser et d’imaginer ensemble, avec les autres, grâce aux autres. Elle est ce qui me fait parier pour un avenir où la réponse à Gaïa ne serait pas la triste décroissance, mais ce que les objecteurs de croissance inventent déjà lorsqu’ils découvrent ensemble les dimensions de la vie qui ont été anesthésiées, massacrées, déshonorées au nom d’un progrès réduit aujourd’hui à l’impératif de croissance."
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